JAPPELOUP
Christian Duguay
Un homme, un cheval, un seul et même destin. Voilà, en gros, ce que propose de retracer Jappeloup, du nom du (beau) cheval, héros du film. L'homme, c'est Pierre Durand, avocat qui finit par se consacrer à l'art du saut d'obstacle, et devient chevalier. On connait d'avance la fin (l'homme et son cheval terminent gagnants aux JO de Séoul en 1988), on s'attend à un film classique et pépère, un Petits Mouchoirs 2, sans les irritantes larmes de Marion Cotillard, et sans la lourdeur du ''film de potes''. Christian Duguay, sans grande référence, réalise ici un film de, écrit par et pour Guillaume Canet, et on le sent bien (l'acteur se révèle très bon dans son rôle, investi et méticuleux), mais pour autant, le reste du film semble très soigné, les seconds rôles existent bel et bien. On redécouvre ainsi le très bon acteur que peut être Daniel Auteuil, qui nous fait totalement croire à son personnage de patriarche bourru et ambitieux pour son fils, on apprécie la prestation émouvante de Marina Hands, qui se bonifie avec le temps, on découvre la candeur de Lou de Lâage (après son rôle dans J'aime Regarder les Filles), on s'étonne devant la ''révélation'' Jacques Higelin, parfaitement sobre, et on s'émeut de retrouver la belle Marie Bunel, trop rare et souvent trop discrète. Le film, volontairement, revisite de nombreux thèmes très classiques, dilués dans une mise en scène ample et impersonnelle, sous la sécurité de l'appellation ''biopic'': les relations père-fils et homme-cheval, la conviction, et bien sur l'éternelle faiblesse de l'homme devant l'échec. Jappeloup, après des débuts prévisibles et un scénario bateau, nous offre ce que l'on apprécie de temps à autre: un film classique, avec de vrais morceaux d'acteurs dedans, et donc un vrai plaisir, qui ne se dément pas à mesure que la réalisation se fait plus alerte. Jappeloup ne fera surement pas date, en tout cas il offre une inattendue surprise, joliment construite, devant laquelle on est véritablement ému et, contre toute attente, embarqué.
13,5/20
CAMILLE CLAUDEL 1915
Bruno Dumont
Deux sentiments précèdent le film. D'abord, l'envie de voir Juliette Binoche pendant 1h35, quasiment seule, l'envie de regarder ce visage féminin que l'on aime tant, où l'on pourrait, selon Gérard Lefort de Libération, ''lire le bulletin météo des tempêtes sous son crâne et des rares embellies qui le traversent''. Et puis, au contraire, l'envie de fuir avant même d'avoir vu le film, en prévoyant le lourdingue ''naturalisme'' à la Dumont, qui nous a fait vivre des moments de pur ennui devant des ''oeuvres'' qui laissent de marbre (Hadewijch particulièrement). Deux sentiments succèdent au film. D'une part, le vrai bonheur de voir Binoche dans un rôle à sa taille, qui l'interprète avec une force inouïe. Camille Claudel est devant nous, elle mange, prie, s'ennuie, s'énerve, se prépare à manger, écrit, s'affaiblit, écroule en larmes plusieurs fois (cette séquence magnifique où des pensionnaires répètent une scène de Don Juan, et durant laquelle Binoche passe de l'absence totale au rire, puis aux larmes). D'autre part, une incertitude. S'est-on ennuyé? Qu'a-t-on vraiment observé? Etions-nous attentifs au seul bulletin météo prodigué par Binoche, ou regardions-nous ces vrais pensionnaires qui gravitent autour de Binoche? Sommes-nous voyeurs, où Dumont a-t-il trouvé la manière la plus juste de filmer ces personnes? L'incertitude demeure longtemps, force est au moins de reconnaître à Dumont la capacité de stimuler son spectateur, qui ressort légèrement déboussolé. Parce que d'un côté, il y a la ''pureté'' du geste, le naturel des comédiennes, la beauté d'une échappée sur les chemins d'un calvaire rocailleux, la force de larmes et de soutiens involontaires de la part des pensionnaires. De l'autre côté, il y a aussi ce flot continu de paroles, qui viennent souvent gâcher le ''plaisir'', et couper une dynamique mise en place par la quiétude du découpage, il y a cet insupportable Paul Claudel (Jean-Luc Vincent), qui prend toute la place pendant un très long moment, trop théâtral et trop bavard pour exister à l'écran. Et il y a cette forte propension de Dumont à la contemplation incertaine et chaotique, qui rend l'oeuvre peu palpable, loin de toute cinégénie.
Le 30 mars, pourtant, une lecture, dans Libération, un reportage au long cours dans Le Mag du week-end. Et se lève enfin l'incertitude. Oui, il faut aller voir Camille Claudel 1915, malgré les atours peu attractifs du film. L'article '' « Camille Claudel 1915 », une folle parenthèse'', qui revient sur le lieu du tournage, à Saint-Paul de Mausole dans les Bouches-du-Rhône, raconte les réminiscences de l'aventure dans la tête et dans la vie des pensionnaires. Un article vraiment superbe, qui pose les questions de l'identification (du spectateur aux handicapées, des handicapées à leur rôle – certaines sont devenues aides-soignantes pendant le tournage, ce qui leur reconnaît un statut de personnage, autrement différent que celui d'handicapée), du rapport au langage (apprentissage du texte, l'acte de ''jouer'', notamment cette femme qui chante et exulte son Hallelujah!...), et d'une folle expérience humaine qui, selon les dires du personnel de la maison d'accueil, a changé toutes les pensionnaires, les a marqué durablement. Camille Claudel 1915, film complexe qui laisse de nombreuses questions en suspens, restera finalement comme une belle expérimentation, une oeuvre qui ouvre la porte à des réflexions passionnantes.
12,5/20
TU SERAS SUMO
Jill Coulon
Tu Seras Sumo est un documentaire étonnant sur l'initiation d'un jeune homme (mince) à l'art du Sumo. Jill Coulon, qui a été autorisé à tourner dans une écurie de sumo, a trouvé le sujet parfait pour un documentaire qui paraît quasiment scénarisé: un jeune homme, donc, dont le père veut qu'il fasse du sumo, mais qui n'en n'a aucune envie. Il va entreprendre l'apprentissage de l'art, en prenant du poid, en apprenant les codes et en suivant les rites d'initiation (dont certains sont plutôt amusants). L'entraînement, très physique, dure jusqu'à 5 heures pas jour, et le craquage n'est pas permis (scène magnifique des larmes d'épuisement). Le titre japonais, Shinbô, signifie Courage, Persévérance. Il est particulièrement adapté ici, alors que le jeune finira pas abandonner son apprentissage, sous la pression trop forte de ce que l'on attend de lui. Le documentaire porte plus sur la construction d'un adolescent qui passe à l'âge adulte, en se faisant véritable porte-voix de ce garçon qui raconte, en voix off, à travers des entretiens, ses ressentis, et son intégration dans l'écurie. Seulement, si l'observation est intéressante, le film s'essouffle très rapidement, et devient anecdotique. Un documentaire original, dépaysant et qui dévoile au novice une partie de la culture japonaise, comme il est très juste lorsqu'il parle de la difficulté de se plier aux traditions, mais qui est affaibli par une musique envahissante, et un cadre formel engoncé dans son académisme. Ceci étant dit, on attend la suite de Jill Coulon, dont c'est le premier film.
11,5/20