TOUTES NOS ENVIES
Philippe Lioret
EN BREF:
Un film empreint d'un réalisme brut, dur à avaler et émouvant. Et si Lioret manque cette fois-ci d'une pointe de nouveauté et d'une subtilité parfois manquante, son cinéma reste plus que jamais dans l'air du temps.
Le cinéma de Lioret, depuis deux films, trouve un écho particulier dans l'actualité: en 2009, avec Welcome, un débat était lancé sur la "jungle" de Calais; en 2011, avec Toutes nos envies, la peinture d'une société surendettée et un peu terne est mise en avant. Après une montée en puissance, au fil de ses films, dans l'émotion (L'équipier puis Je vais bien...), Lioret avait atteint un pic avec Welcome (de souvenir de cinéphile, jamais un drame français ne m'a autant marqué). Ici, l'émotion est plus en retenue, toujours présente mais n'éclipsant jamais son sujet. Allumez une télé, écoutez la radio, lisez les journaux, vous entendrez forcément, dans les cinq minutes qui suivent, le mot: rigueur. On est dans un cinéma de la rigueur, avec une économie claire sur les effets, une obscurité, et surtout un vrai combat pour la justice. Lioret a beau se défendre d'être un cinéaste engagé, il est surement l'un des seuls, en France, qui touche du doigt le plus proche quotidien et la difficulté du plus grand nombre. Il est aussi, sans démagogie, celui qui sait le mieux, aujourd'hui, prendre les sujets à même de faire réagir. Car, effectivement, quand les points de vue se confrontent sur le film, ça donne lieu à des conversations aiguisées, et souvent passionnantes. Pour cela, le cinéma de Lioret se respecte et se défend avec vigueur.
Vincent Lindon et Marie Gillain dévorent l'écran avec un appétit féroce.
20 minutes
Les choix du film sont assez minimalistes: pas de prouesse technique, pas d'effets de mise en scène, pas d'esbrouffes dans le scénario. Coller au plus près du sujet, voilà le parti pris, qui accentue souvent l'émotion. Parce que le tout, sous ses airs austères, reste du bon, du beau cinéma. Un cinéma très rigoureux sur les faits qu'il montre et dénonce clairement (tout ce qui tourne autour des crédits accordés à des taux de remboursement exorbitants mais mal expliqués aux clients, et toutes les audiences et discussions entre juges, organismes de crédit, avocats et victimes), et un cinéma de l'intime, histoire simple mais assez cruelle (même si l'histoire d'amour qui doublait le récit du jeune kurde dans Welcome restera a priori la plus belle que le cinéaste ait jamais filmé). Une juge, mère de deux enfants, se lie d'amitié à un autre juge pour un même combat: faire triompher la justice, véritable institution, très respectée -y compris dans le film, et défendre les faibles contre la toute puissance des organismes de crédit, qui surendettent allégrement des ménages déjà précaires. En plus de cela, elle apprend qu'elle a un cancer, qu'elle va donc y passer, et invite une mère en foyer social, qu'elle défend, et ses deux enfants, à séjourner chez elle, avec son mari. C'est là principalement que Lioret déçoit un peu, car s'il réussit à épurer son film de tout manichéisme et de tout apparat inutile, son scénario sort un peu alourdi de la maladie dont est victime la juge. Alors, certes, la maladie n'est pas montrée sous tous les angles, et n'est pas raccoleuse, on ne voit d'ailleurs pas la patiente mourir, mais sur ce thème rebattu, surtout ces derniers temps, on aurait voulu soit plus d'originalité, soit moins de poncifs.
[Un] mélo doux dont les maladresses restent infimes. C'est par sa volonté de mettre en lumière des combattants du quotidien que le film touche.
Télérama
Marie Gillain (qu'on redécouvre totalement), heureusement, par une grâce et une force de caractère, une crédibilité dans son rôle aussi, sauve totalement cet écueil qu'aurait pu représenter la maladie, elle n'en fait pas trop, et, chose rarement montrée au cinéma, refuse un traitement lourd qui pourrait la faire devenir légume pour quelques mois supplémentaires. Elle n'en parle pas, ni à son mari (le toujours très bon Yannick Rénier, qui hérite d'un rôle très effacé, assez joli, mais pas assez poussé), ni à la femme qu'elle aide (Amandine Dewasmes, une révélation, à la fragilité douce, très agréable à l'écran et bouleversante dans sa scène à l'hôpital). C'est finalement son collègue qui saura le mieux l'accompagner (le toujours parfait Vincent Lindon, véritablement animé par la force d'un propos et par la recherche d'une justesse dans l'émotion, jamais "jouée" chez lui). Et si tout cela est montré d'une manière très simple, le film manque par instants d'une certaine subtilité, notamment lorsqu'il traite du surendettement de cette femme qui vient s'installer dans le foyer d'un jeune couple. A vouloir se faire le chantre d'une solidarité sans faille chez l'être humain, Lioret passe légèrement à côté du portrait d'un père de famille tirraillé entre ce que lui impose sa femme (une autre femme à la maison, armée de ses deux marmots) et sa liberté personnelle (on a l'impression d'un être un peu désincarné qui subit tout ce qu'on lui dicte). Seulement voilà, le cinéma de Lioret continue à faire mouche, son propos est fort et ouvre une brèche, un débat passionné, son film est émouvant et marquant, et les dernières scènes achèvent de nous convaincre que la subtilité, même s'il en manque de temps en temps, n'est pas étrangère au cinéaste, le tact non plus. Et surtout, la fascination pour les scènes ou Lioret filme de l'eau reste intacte: comment arrive-t-il à rendre si électrique, si sensitive, si puissante, une scène qui a priori ressemble à tant d'autres, mais a fortiori tire inexorablement le film vers le haut?
76% de réussite.